Réussir le compostage à la ferme
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La France, D. et Duval, J. (2022).
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Il y a de nombreuses ressemblances entre bien gérer un sol et le processus de compostage, car les deux doivent être favorables à une activité biologique appropriée. Fabriquer un compost, c’est ainsi créer un milieu de vie et d’alimentation pour des décomposeurs :
- il faut assurer une structure poreuse qui permet un équilibre entre l’eau et l’air, car le processus est principalement aérobie;
- il faut synchroniser la disponibilité des substances nutritives aux diverses étapes du processus comme pour la nutrition des plantes dans les sols;
- les matières organiques doivent minéraliser au moment approprié pour les besoins nutritifs des divers organismes;
- la nature des matériaux, la taille et la forme des particules auront une incidence sur cette minéralisation.
En général, les microorganismes sont déjà présents sur les matériaux, là où l’eau est concentrée, et ils prolifèrent lorsque les conditions leur conviennent; il n’est donc habituellement pas nécessaire de les inoculer pour composter. Il y aura une succession des organismes dans le temps à mesure que les matériaux seront modifiés par le processus de décomposition. Plusieurs milliers d’espèces d’organismes divers sont actives durant le compostage, tout comme dans un sol; certaines ont des besoins très précis et d’autres sont très adaptables. Les bactéries, incluant les actinobactéries (actinomycètes), dominent largement la population biologique du compost, suivies des champignons. Le type de bactéries et de champignons varie énormément d’un compost à l’autre (Rynk et al., 2021). D’autres organismes, y compris un grand nombre d’animaux, interviennent dans les phases où la température est plus modérée.
On doit obligatoirement et soigneusement respecter les bonnes règles du compostage si l’on veut obtenir un compost de qualité, ce qui veut dire de bien comprendre les paramètres à prendre en compte.
Les paramètres à considérer
Les principaux paramètres à considérer et à harmoniser pour un compostage réussi sont :
- la présence d’azote (N) qui servira aux décomposeurs à élaborer la protéine de leur corps;
- la présence d’hydrates de carbone (C) assimilables, source d’énergie pour les décomposeurs. L’équilibre entre C et N est décrit par le rapport C/N;
- une dimension des particules qui permette l’accès des décomposeurs aux nutriments qu’ils contiennent, soit de 0,3 à 5 cm en général;
- la présence de matériaux structurants qui empêchent le compost de s’affaisser avec le temps;
- une porosité correcte entre les solides; c’est dans les pores qu’on retrouvera l’eau, l’air et les gaz produits par le processus;
- une densité optimale de 600 à 700 kg/m3; la densité est en lien avec les facteurs humidité, porosité, maintien de la structure et des échanges gazeux;
- un équilibre entre l’air et l’eau, le taux d’humidité optimal se situant entre 50 et 60%;
- une perméabilité qui permet aux gaz de s’échapper et à l’air de pénétrer dans le compost;
- un pH correct;
- une température appropriée.
Voyons plus en détails ces paramètres.
Azote
La gestion de l’azote lors du compostage est difficile. Lorsque le compostage ne suit pas les règles établies, les pertes en azote peuvent atteindre plus de 70 % (Martins et Dewes, 1992, Paillat et al., 2005, Robitaille et al., 1996). Ces pertes d’azote dépendent beaucoup de la nature des matériaux utilisés, les fumiers étant les plus à risques de pertes. Ceci est dû à la grande volatilité de l’azote dans les fumiers, et surtout dans les lisiers qui contiennent une plus grande part d’azote sous forme ammoniacale.
Comme l’azote doit être conservé le plus possible lors du compostage pour assurer une bonne valeur fertilisante au compost final, il est nécessaire d’établir une stratégie appropriée à cet effet pour composter des fumiers. Il faut noter que les matériaux à composter autres que les fumiers ne comportent pas un tel risque de volatilisation, sauf les résidus de viande et de chaire de produits marins, ou certains déchets d’aliments. En contrepartie, les fumiers bien compostés donneront un compost dont la valeur fertilisante azotée sera systématiquement supérieure la première année aux composts obtenus à partir de végétaux uniquement (Lee, 2016).
Les pertes d’azote augmentent avec la durée du compostage, la hausse du pH et le nombre de retournements. Cependant il est possible de minimiser ces pertes. En général, les fumiers de granivores (volaille, porc) et les lisiers sont riches en ions ammonium (NH4+), une forme de N qui se transforme facilement en ammoniac (NH3), un gaz volatile. Bien que plus rares, les fumiers solides de ruminants avec une litière abondante de paille sont un des matériaux les plus faciles à composter et la présence moindre d’azote ammoniacal diminue la perte par volatilisation. Heureusement, si on sait bien faire du compost, les pertes d’azote peuvent être minimisées.
La controverse des pertes d’azote durant le compostage
Des travaux de recherche abondamment cités présentent des pertes de plus de 70 % pour l’azote et de 50 % pour le potassium (Martins et Dewes, 1992, Paillat et al., 2005).
Martins et Dewes ont arrosé une petite quantité de paille avec des lisiers de poules et de porcs, obtenant des matériaux excessivement humides dont les rapports C/N allaient de 7,1 à 14,2, placés dans des contenants de compostage partiellement enrobés de plastique, et réarrosés de lixiviat ou de lisier en cours de compostage. Les taux d’humidité au départ allaient de 78,5 à 86 %. Les règles de base du compostage n’étaient pas du tout respectées et il serait difficile de trouver un scénario produisant plus de pertes d’azote.
Paillat a composté des fumiers à rapport C/N de 17 +/- 4. Ces essais sont communément cités pour démontrer les pertes de N lors du compostage. Ceci est surtout dû à la grande volatilité de l’azote dans les fumiers, et surtout dans les lisiers. Dewes (1999) a démontré que du lisier peut perdre jusqu’à 56 % de son azote durant l’entreposage dans une fosse et Döhler (1991) a démontré que les pertes lors de l’épandage pouvaient atteindre 67 % de la teneur en NH4+ qui reste après l’entreposage. Évidemment, ces chiffres représentent les pires scénarios, mais démontrent bien la grande volatilité de l’azote ammoniacal.
Durant les années 1990, dans un suivi de compostage de fumier de poulet sur litière de ripe de bois effectué sur une ferme par le Centre de développement d’agrobiologie, les pertes d’azote dans un compostage long durant presque un an atteignaient approximativement 90% de l’azote total. (P. Jobin, communication personnelle). L’agriculteur avait modifié ses méthodes pour corriger la situation.
Lors d’essais avec des boues de papetières et de désencrage enrichies d’urée, les pires pertes de N ont été de 9 à 32 % avec un C/N de 18, de 9-10% avec C/N de 29, et nuls avec C/N de 55 et 107 (Larsen et McCartney, 2000).
Figure 1. Effet du rapport C/N sur la rétention en azote. Tiré de Larsen et McCartney (2000) dans Rynk et al. (2021).
Les pertes d’azote lors du compostage dépendent beaucoup de la nature des matériaux utilisés, les fumiers étant les plus à risques de pertes, mais en contrepartie ce sont ceux qui minéralisent le mieux l’azote au champ.
Résumons donc les moyens de minimiser ces pertes (Rynk et al., 2021) :
- assurer un C/N suffisamment élevé;
- assurer du carbone suffisamment dégradable;
- retourner au bon moment et pas trop souvent;
- garder le pH en deçà de 8;
- éviter l’assèchement des matériaux;
- éviter les températures trop élevées.
Carbone et rapport C/N
Pour réussir le compostage, la première exigence est que le rapport carbone/azote (C/N) du mélange au départ soit entre 25 et 35. On peut toutefois réussir un compost avec un C/N de départ entre 20 et 40. Au-delà de ces limites, ce sera plus difficile. On peut se référer à des chiffres existants (voir le tableau 1), mais il est plus précis de faire analyser au préalable les principaux matériaux à composter. Un rapport C/N de 25 signifie que le matériau contient 25 fois plus de carbone que d’azote; et un C/N de 250 aura 250 parties de C pour une partie d’azote. Comme les décomposeurs utilisent l’azote pour élaborer la protéine de leur corps puis consomment les hydrates de carbone comme source d’énergie ainsi que pour le carbone de leurs cellules, on peut comprendre l’incidence de cette règle sur le bon déroulement du processus.
Tableau 1. Rapports C/N de différents matériaux à composter
Matériau | Rapport C/N |
---|---|
Matériaux ligneux | |
Bois Raméaux Fragmentés (exempts de bois caulinaire) | 50-68 |
Copeaux élagage | 100-240 |
Bois franc (moyenne) | 560 |
Bois mou (moyenne) | 640 |
Bran de scie/ripe (moyenne) | 500 (300-700) |
Bran de scie décomposé en tas | 100 |
Bois broyé décomposé/vieilli | 61 |
Écorces | 100-400 |
Écorces de feuillus | 223 |
Écorces de conifères | 496 |
Taille arbustes | 53 |
Papier-carton | 400-800 |
Carton | 560 |
Déchets animaux | |
Déchets crabes/homards | 4,9 |
Sang | 2 à 3 |
Farine de plumes | 4 |
Volailles mortes | 5 |
Fumier de panses | 25 |
Déchets crevettes-poissons | 3,5 à 5 |
Foin | |
Gazon | 9 à 25 |
Brome | 24 |
Vieil ensilage | 19 |
Légumineuses jeunes | 13-17 |
Légumineuses plus matures | 21-25 |
Graminées | 32 |
Foin mixte | 17-25 |
Foin mature | 27-35 |
Mauvaises herbes sarclées | 10 à 30 |
Raygrass | 30 |
Jeune vesce velue | 11 |
Fumiers | |
Ovins et caprins | 7 à 14 |
Porcs sur litière | 14 |
Lisier porcs | 2,7 - 3,6 |
Poulet (sur ripe) | 9 à 14 |
Poules pondeuses | 5 à 9 |
Élevage de poulettes | 15 |
Dindes | 16 |
Cheval | 30 (22-50) |
Vaches laitières | 12 à 18 |
Lisier de vaches laitières | 8 à 12 |
Vaches laitières sur litière | 20 |
Taures sur litière | 28 |
Bovins boucherie | 20 |
Purin | 2 à 4 |
Lisier veaux de lait | 3 |
Fumier veaux de grain | 17 |
Maïs | |
Rafle de maïs | 98 |
Tiges de maïs | 29-67 |
Ensilage de maïs | 38-43 |
Paille | |
Avoine-orge-seigle | 60-70 |
Blé | 85-100 |
Seigle à l’anthèse | 37 |
Soya | 65 |
Panic érigé | 100 |
Roseaux /nettoyage de marécage | 20-50 |
Déchets de transformation agroalimentaire | |
Marc de pommes | 48 |
Boue de transformation pommes | 7 |
Déchets boulangerie | 28 |
Écorces cacao | 22 |
Marc de jus canneberges | 31-42 |
Marc de café | 18-20 |
Marc de raisins (moyenne) | 17-69 (29) |
Pommes de terre déclassées | 18 |
Déchets de légumes | 11 à 20 |
Déchets de fruits | 20-50 |
Drêche de brasserie | 7 à 26 |
Carottes | 27 |
Chou | 12 |
Légumes feuilles | 10 |
Brocoli | 18 |
Tourteau soya | 4 à 6 |
Feuilles mortes | |
Feuilles mixtes | 32-36 |
Feuilles décomposées 1 an | 16-23 |
Moyenne | 47 |
Aiguilles de pin | 30 à 80 |
Diverses sources (Rynk 2021) | 31-54 |
Feuilles, limite élevée | 80 |
Divers | |
Déchets d'aliments | 12-90 |
Déchets jardin/cuisine | 15 |
Déchets de cour | 20-43 |
Sarments de vignes | 60-90 |
Algues marines | 5 à 27 |
Mousse de tourbe | 60-80 |
Fougères et broussailles | 40-80 |
Déchets de serre | 20 |
Nettoyage de fossés | 10 à 15 |
Le rapport C/N d’un mélange à composter donne cependant un portrait incomplet pour le bon déroulement du compostage. En effet, il doit y avoir suffisamment d’hydrates de carbone facilement disponible pour les bactéries, ce qui ne sera pas le cas avec des matériaux très coriaces. Composter des matériaux à C/N élevé, mais à carbone peu disponible, entraîne potentiellement de fortes pertes de NH3, notamment dans le cas des fumiers. Par exemple, avec des matériaux issus de la foresterie, le carbone est peu accessible aux bactéries et les pertes d’azote durant le compostage peuvent être importantes. Les matériaux à rapport C/N élevé sont habituellement riches en cellulose, hémicellulose et lignine, des substances qui ne libèrent pas rapidement leur énergie pour nourrir les décomposeurs. Ces matériaux sont surtout attaqués pendant les 2e et 3e phases de compostage, principalement par des champignons, et leur décomposition se poursuit dans le sol, sur un laps de temps souvent très long. Malgré un C/N qui semble équilibré, il peut donc y avoir pertes de NH3. La clé pour minimiser les pertes d’azote lors du compostage est d’assurer non seulement la présence de carbone suffisant (C/N idéal 25 à 35), mais surtout de formes de carbone assez labiles comme celles de la paille ou des feuilles par exemple, plus faciles à consommer au début du processus par les bactéries. Celles-ci intégreront alors l’azote dans leur biomasse et les pertes de NH3 seront limitées. Pour avoir une idée de la dégradabilité des divers composés organiques, voir la figure 2.
Les sols fertiles, et un grand nombre d’être vivants peu fibreux ont, dans leurs matières organiques, des rapports C/N assez bas, 10-12 ou 15, et même moins dans le cas des animaux. Lorsqu’ils consomment et décomposent des hydrates de carbone ils en libèrent souvent plus de la moitié par la respiration, ce qui explique que des C/N de 25 à 35 sont considérés comme équilibrés pour la décomposition dans les sols et le compostage. Par exemple, des résidus de culture avec des C/N de 20 à 100 produisent des matières organiques à C/N de 10-12 après leur décomposition par l’activité biologique d’un sol, suite à la perte de CO2 durant la décomposition.
Le compostage de matériaux qui, en mélange, donnent un rapport C/N élevé (dépassant 40), rallongera passablement la durée du processus. Il y aura peu d’azote disponible pour la protéine microbienne des décomposeurs et leur population s’en trouvera réduite. Au lieu d’attaquer rapidement les matériaux, ils n’en consomment qu’une partie à la fois.
Dimension des particules, structuration, porosité, perméabilité
La décomposition commence en surface des particules pour se poursuivre graduellement vers l’intérieur. À mesure que les matériaux se décomposent, la structure tend à s’affaisser, ce qui coïncide généralement avec la baisse de la demande biologique en oxygène (O2). La présence de matériaux plus grossiers, souvent provenant de la litière des fumiers, doit donc être suffisante pour assurer la porosité de l’andain. Comme ces matériaux fournissent aussi du carbone aux décomposeurs, on s’attend à une diminution graduelle de la porosité dans un fumier composté, par exemple avec des pailles. Le bois étant résistant à l’attaque bactérienne, il offre une porosité plus durable, mais son carbone est difficile d’accès pour les bactéries. Le bran de scie est moins poreux que la ripe. Si l’utilisation de matériaux récalcitrants pour donner de la porosité fait monter le rapport C/N, il est possible qu’après un certain temps ces matériaux se mettent à se décomposer plus activement, ce qui pourrait immobiliser l’azote du sol lors de l’utilisation du compost, causant une faim d’azote. Ce phénomène est dû à l’utilisation d’une source d’énergie disponible aux microbes du sol sans leur fournir d’azote. Ceux-ci utilisent alors l’azote disponible dans le sol en compétition avec les besoins nutritifs des plantes, qui souffriront de carence de N.
Les feuilles d’arbres issues de la collecte d’automne offrent une forme de carbone labile très intéressante, mais leur porosité peut laisser à désirer car elles se tassent facilement. Les brindilles de vrai bois raméal fragmenté (BRF) offrent une excellente porosité et du carbone labile, mais le matériau est rare parce que les copeaux d’élagage contiennent presque toujours beaucoup de gros morceaux de bois poreux riches en carbone non-labile, donc très lents à dégrader. Ces copeaux se décomposent plus tard et peuvent entraîner des faims d’azote après incorporation du compost au sol.
Tous les matériaux mentionnés précédemment sont en général plutôt secs et servent aussi à équilibrer l’humidité des matériaux plus humides.
Eau
Dans le tas de compost, l’eau est surtout située à la surface des particules solides. Certains matériaux peuvent être tellement riches en eau qu’ils entraînent l’apparition de conditions anaérobie, nuisibles au bon déroulement du compostage. C’est le cas des fumiers humides, des lisiers et des déchets agroalimentaires. Un excès d’eau diminue l’espace disponible pour l’air dans les pores et le poids des matériaux mouillés entraîne un affaissement de l’andain qui réduit la porosité. Il faut donc mélanger les matériaux trop humides à des matériaux plus secs et poreux pour équilibrer l’air et l’eau. Dans le fumier, c’est le rôle des litières. Inversement, dans un compost trop sec, la décomposition peut être arrêtée et on devra arroser, habituellement en combinaison avec un retournement, pour bien répartir l’ajout d’eau.
En cours de compostage, des pluies abondantes comme on en observe souvent au Québec peuvent élever rapidement le taux d’humidité au détriment de l’aération et stopper presque complètement le processus de décomposition aérobie. Lors du compostage en andains sur une ferme, la réglementation provinciale exige la couverture des tas avec une toile (voir la section Exigences agroenvironnementales pour le compostage à la ferme). L’idéal est un géotextile (spécialement conçu pour le compostage) qui empêche la pénétration d’eau, s’il est bien installé. Un polythène, par exemple du type utilisé pour l’ensilage et l’occultation, est parfois utilisé. Il a le désavantage de réduire l’évaporation des gaz produits par le compostage. Or, dans un endroit venteux, l’air peut quand même s’infiltrer dessous pour renouveler l'oxygène; le problème est alors amoindri et le compostage se poursuit. Si les matériaux ont tendance à être trop secs, il peut même être avantageux de les recouvrir d’un polythène qui tend à favoriser la ré-humidification en cours de décomposition par condensation de l’H2O gazeux de la décomposition. Sous un géotextile, l’humidité gazeuse libérée par la décomposition a tendance à s’échapper du tas et le taux d’humidité se trouve graduellement réduit. En deçà de 50 % d’humidité le compostage ralentit.
Les microbes vivent en grand nombre dans le film d’eau en surface des particules. Cette eau contient aussi une certaine quantité d’oxygène dissous. L’excès d’eau et les conditions anaérobies sont un facteur de putréfaction et peuvent entraîner l’apparition de mauvaises odeurs.
Oxygène et retournement
La quantité d’oxygène requise en cours de compostage est très élevée et la décomposition libère beaucoup de dioxyde de carbone (CO2) et de vapeur d’eau, et divers gaz, surtout dans les premières semaines, ce qui fait que le taux d’oxygène du compost est plus bas que dans l’atmosphère (souvent 5 à 10 % par opposition à 21 %, mais parfois aussi peu que 1 %, notamment dans le centre d’un andain). Une porosité correcte des matériaux permet aux gaz de s’échapper vers l’atmosphère et d’être remplacés par de l’oxygène. Les gaz chauds montent par convection. Le manque d’oxygène (soit, < 10 % ou < 5 % selon les auteurs) peut augmenter la production de composés putrides et de mauvaises odeurs. Des matériaux à risque, comme par exemple des résidus de transformation alimentaire, des déchets d’aliments, de pêcheries ou du gazon accumulé quelques jours avant compostage demanderont une attention particulière. Souvent on choisira de les composter avec des systèmes d’aération forcée rarement envisageables sur une ferme, qui ont aussi l’inconvénient de refroidir le compost et de l’assécher. Après les premières semaines, le taux d’O2 remonte et le CO2 diminue car l’activité des décomposeurs ralentit.
Un géotextile spécialement conçu pour le compostage permet l’évacuation des gaz et l’arrivée d’oxygène. Par un effet de cheminée, les gaz plus chauds s’échappent et de l’air frais les remplace. Bien installé, une telle toile bloque l’arrivée d’eau de pluie, assurant une place suffisante pour l’air. Les autres types de géotextiles ne conviennent pas car ils laissent passer l’eau.
La croyance veut que le retournement augmente le taux d’oxygène du compost, mais cet effet ne dure la plupart du temps que quelques heures, ou même quelques minutes. Le retournement sert d’abord à uniformiser le mélange, à mélanger des matériaux plus secs et plus humides; il réduit aussi les zones aérobies et évacue certains gaz captifs. Un retournement avec chargeur frontal n’apportera pas tous ces avantages. L’effet d’augmentation de la porosité lors du retournement à l’épandeur ou au retourneur est donc temporaire. Souvent le retournement affine les matériaux qui seront rapidement plus denses qu’avant le brassage. Il active le processus et, en présence d’un taux d’oxygène approprié et suffisamment tôt dans la séquence de décomposition, il relance la phase thermophile, la température remonte, avec un effet positif sur l’assainissement des matériaux par la chaleur.
Dans un compost avec un rapport C/N bas au départ, le retournement entraîne souvent une perte d’azote ammoniacal. Lorsqu’un compost est déséquilibré ou trop sec, le retournement est une occasion de rajouter de l’eau ou des matériaux correctifs. Dans un compost plus évolué, en phase de maturation, le retournement n’a pas l’effet d’activation et il refroidira même l’andain. Il est rarement nécessaire de retourner le tas rendu à ce stade. Si l’on préfère un matériau fin et très uniforme, plusieurs retournements sont nécessaires, mais ce sont des interventions coûteuses. Pour un usage au champ avec préparation mécanique des sols, un compost partiellement motteux est tout à fait acceptable.
pH
Comme pour les sols, un pH proche de la neutralité est favorable au compostage, mais le compostage peut se faire dans une fourchette de pH allant de 5,5 à 9. Toutefois, lorsque le pH dépasse 7,5, les pertes de NH3 ont tendance à être élevées. En bas de 5,5, le compostage ralentit. Les fumiers, riches en NH4+, ont tendance à faire monter le pH en se décomposant. Pour cette raison on évitera l’utilisation de chaux à l’étable si on veut composter les fumiers.
Des matériaux extrêmes, comme des boues de pommes de terre ou des matériaux azotés humides comme des résidus d’aliments, peuvent être fortement acidifiants et demander un apport de cendres pour corriger rapidement le pH; la pierre à chaux agit beaucoup plus lentement que la cendre. Une forte porosité ou une aération forcée peuvent réduire ce problème lié à la production d’acides organiques.
Pour réduire la perte de NH3, on peut ajouter des déchets agroalimentaires acidifiants aux fumiers, notamment aux fumiers de volailles, des déchets de fruits par exemple, mais il faudra porter une attention particulière à la porosité.
Rares sont les fumiers compostés dont le pH sera en bas de 8, et rares sont les composts à maturité en deçà d’un pH de 7. Il faut utiliser avec prudence de tels composts dans les cultures calcifuges nécessitant un pH bas comme les bleuets.
Chaleur
Du printemps à l’automne la température ambiante aura une influence relativement faible sur la température interne d’un compost. Le compostage génère une chaleur interne; la décomposition libère du CO2, du H2O et de la chaleur. Il faut faire un suivi de la température interne avec un thermomètre à compost, et la noter dans un registre pour la certification biologique. Une température ambiante très élevée peut augmenter légèrement la température interne du compost mais, normalement, cette température sera le produit du métabolisme des microbes.
Il n’y a pas d’unanimité sur la classification de l’adaptation des microbes à la chaleur. Pour les thermophiles, on voit souvent de 45-50 °C à 70-75 °C et de 25 à 45 °C pour les mésophiles; il y a aussi une catégorie d’hyperthermophiles de 80 à 110 °C. On sait que la mortalité des thermophiles augmente fortement au-dessus de 70 °C, un niveau qu’on doit éviter de dépasser au risque de stopper le processus de décomposition.
L’assainissement, un processus analogue à la pasteurisation, est atteint par une exposition à une température de 55 °C pendant trois jours, ce qui détruit presque 100 % des pathogènes affectant les humains et les animaux. De nombreux autres organismes sont détruits, par exemple des graines de mauvaises herbes, des insectes et d'autres organismes nuisibles qui causent des maladies aux plantes. L’atteinte d’une température élevée est aussi un indicateur de décomposition rapide. Comme les zones marginales sont moins chaudes, un retournement après quelque temps est indiqué pour exposer la majorité des matériaux à cette phase thermophile. Les graines de quelques espèces de mauvaises herbes et certains virus survivent à ces températures élevées. Des andains trop petits (p. ex. moins d’un mètre de haut et de large) perdront rapidement la chaleur générée et pourraient ne pas atteindre les 55 °C exigés par les normes biologiques. Composter en période froide pourrait exacerber cette situation. Il est toutefois possible de démarrer un tas de compost à l’hiver.
Par une température de - 25 °C, j'ai fabriqué un compost dans un endroit très venteux et obtenu une température de 70 °C dès le lendemain.
Cependant, lorsque le compost atteint la phase mésophile, l’influence de la température ambiante peut contrer le processus et éventuellement le stopper, allant jusqu’au gel de l’andain. La fonte de neige peut refroidir un compost, donc il faut le couvrir. Fabriquer des andains plus volumineux peut aider à contrer ce phénomène, mais une attention plus grande doit alors être accordée à la porosité et aux matériaux structurants.
Finalement, on voit parfois des tas de compost prendre en feu, à cause d’une combinaison de zones trop sèches et d’une montée excessive de température. Bien que ce soit très rare au Québec, la prudence s’impose.
Le compostage en pratique
Le choix d’un site approprié
Une erreur très commune pour le compostage à la ferme est de choisir un site mal drainé avec des baissières qui canalisent les précipitations vers la base des tas qui ainsi se saturent d’eau par capillarité. Le tas se retrouve trop humide, le manque d’aération stoppe le processus de compostage et on observe une lixiviation polluante qui entraîne des pertes de nutriments coûteuses. Il est donc essentiel de choisir un site bien drainé où l’eau ne peut pas pénétrer dans le compost par la base. Un emplacement solide, élevé, avec une surface un peu convexe et une légère pente qui éloigne l’eau de surface de l’andain est idéal. Lors du chargement du compost il faut soigneusement placer la pelle pour éviter de creuser dans le sol ce qui rendrait le site non réutilisable. Après l'épandage on est tenu de ré-enherber l'aire de compostage ou de le mettre en culture.
Les tas en processus de compostage aussi bien que le compost prêt à être utilisé devraient toujours être protégés des intempéries. Le plus simple est d’utiliser une bâche étanche comme un polythène, ou un géotextile approprié qui empêche le passage de l’eau tout en permettant l’évaporation des gaz. Il faut s’assurer que le géotextile est assez large, bien tendu et se rend au sol car s’il est insuffisamment large ou mal placé, il canalise l’eau de pluie vers la base du compost qui l’absorbera par capillarité et deviendra saturé et anaérobie.
C’est principalement le potassium que l’on perd si l’andain n’est pas protégé, mais aussi une partie de l’azote sous forme minérale. Un producteur expérimenté semait du seigle autour de son tas de compost, autant pour absorber l’azote qui peut s’échapper que pour empêcher le chiendent d’entrer dans l’andain.
Au Québec, des subventions sont disponibles pour la mise en place d’une plateforme de compostage à la ferme.
Le dosage des matériaux à composter
Lorsqu’on veut combiner des matériaux pour effectuer un mélange équilibré au démarrage d’un nouveau compost, si on a de l’expérience, on peut se fier à son intuition. Sinon, il est utile de calculer le rapport C/N et l’humidité, les deux facteurs les plus importants au départ du compostage.
Il existe des logiciels qui permettent de calculer les rapports C/N et l’humidité des matériaux pour obtenir un mélange équilibré. On en retrouve gratuitement en ligne. Rynk et al. (1992) proposent deux méthodes de calcul dans le manuel On-Farm Composting Handbook (p. 18-20), dont cette formule qui permet de déterminer la proportion idéale de deux matériaux en tenant compte de leur C/N :
C/ N = [(M1 * C1) + (M2 * C2)] / [(M1 * N1) + (M2 * N2)]
où
C/N = rapport C/N du mélange
M1 = masse du matériau 1
M2 = masse du matériau 2
C1/N1 = rapport C/N du matériau 1
C2/N2 = rapport C/N du matériau 2
Une fois que la proportion des deux ingrédients est déterminée, la même formule peut être utilisée par après pour voir si le pourcentage d’humidité du mélange est acceptable.
H = [(M1 * H1 + M2 * H2)] / [(M1 * 100 + M2 * 100)]
où
H = % humidité du mélange
M1 = masse du matériau 1
M2 = masse du matériau 2
H1/100 = % humidité du matériau 1
H2/100 = % humidité du matériau 2
Voici un exemple pratique.
Exemple de calcul pour doser les matériaux à composter
a) C/N :
Une entreprise maraîchère a accès à 80 tonnes de fumier de bovins de boucherie d’une ferme voisine et a aussi accès à de la paille d’orge d’une autre. Le fumier de bovin a un C/N de 20/1 et la paille un C/N de 120/1. Pour avoir un C/N de 30/1 au début du compostage, combien de paille doit-on ajouter aux 80 tonnes de fumier de bovins?
On cherche : M2 = ? tonnes de paille
On a :
M1 = 80 tonnes de fumier
C1/N1 = 20/1
C2/N2 = 120/1
C/N au début du compostage = 30/1
Calculs :
C/N = [(M1 * C1) + (M2 * C2)] / [(M1 * N1) + (M2 * N2)]
30/1 = [(80 * 20) + (M2 * 120)] / [(80 * 1 ) + (M2 * 1)]
30 * (80 + M2) = 1600 + (M2 * 120)
2400 + (M2 * 30) = 1600 + (M2 * 120)
(M2 * 120) - (M2 * 30) = 2400 - 1600
90 * M2 = 800
donc M2 = 8,8 tonnes de paille
b) % humidité :
Si le fumier de bovins est à 85 % d’humidité et la paille à 12 %, quel sera le pourcentage d’humidité du mélange?
On cherche : H = ? % humidité du mélange
On a :
M1 = 80 tonnes de fumier
M2 = 8,8 tonnes de paille
H1 = 85
H2 = 12
Calculs :
H = [(M1 * H1 + M2 * H2)] / [(M1 * 100 + M2 * 100)]
H = [(80 * 85) + (8,8 * 12)] / [(80 * 100) + (8,8 * 100)]
H = (6800 + 105,6) / (8000 + 880)
H = 6905,6 / 8880
donc H = 0,78 = 78 %
Normalement, on vise un pourcentage d’humidité de départ d’au plus 65 %. Ici, notre mélange est trop humide. Comme on ne peut pas enlever d’eau, on peut décider d’augmenter le C/N de départ, ce qui augmentera la quantité de paille, ou ajouter un autre matériau sec qui affectera peu le rapport C/N du mélange.
La préparation et le retournement des andains
La préparation des andains pour le compostage se fait :
- pour les quantités modérées, en passant les matériaux à composter dans un épandeur à fumier stationnaire (voir la figure 3). Cela exigera donc deux tracteurs, un avec pelle frontale pour charger l’épandeur, l’autre pour actionner l’épandeur avec la prise de force. L’épandeur est avancé peu à peu pour obtenir un andain uniforme en hauteur;
- pour les quantités élevées, on peut utiliser un retourneur à compost pour disposer l'amas de fumier en un andain uniforme (voir la figure 4).
Si on doit mélanger dans un épandeur des matériaux de densités différentes, on met les plus légers dessous (p. ex. : paille) et les plus denses sur le dessus (p. ex. : fumier). Dans le cas d'un retourneur, on ajoute les matériaux à incorporer et on passe une ou deux fois pour obtenir un bon mélange.
On peut accélérer le compostage en retournant fréquemment les matériaux (voir Jobin et Petit, 2005). Cependant, en pratique, un brassage au départ et un retournement après environ 3 semaines lorsque la température commence à baisser sont suffisants. Des brassages fréquents augmentent souvent les pertes ammoniacales (NH3).
En plus des fumiers, on peut composter des végétaux divers (résidus de récoltes, de transformation alimentaire, déchets verts, etc.) Les règles habituelles du compostage s’appliquent pour toutes ces matières (voir la section Bien connaître les matières à composter). Cependant, il est souvent difficile d’humecter des végétaux comme du foin ou de la paille car les liquides ajoutés ont tendance à s’écouler au travers du tas; l’ajout de sol à ces matériaux augmente sensiblement leur capacité de rétention d’eau ou de lisier.
Le suivi du processus
La durée du compostage doit être fonction du but recherché et de la source des matériaux. Par exemple, si le principal but est l’assainissement (pathogènes et graines de mauvaises herbes), la durée du compostage d’un matériau équilibré sans une abondance de matériaux coriaces peut être assez courte, quelques semaines, ce qui produit un compost jeune et limite les pertes d‘azote. Au contraire, la durée du compostage d’un matériau ayant un rapport C/N très élevé doit être longue, parfois un an ou plus, pour abaisser suffisamment le rapport C/N.
Il est important de faire le suivi de la température, particulièrement au début du compostage (voir la section Exigences des normes d'agriculture biologique en matière de compostage).
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