Gestion de l’irrigation
Opérations Irrigation Gestion de l’irrigation
Les auteurs à l'origine du contenu de cette page sont :
Boivin, C., Taillon, P.-A., Deschênes, P., Méthé, A. et Brisset, M. (2022).
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Pourquoi utiliser des outils d’aide à la décision
Les outils d’aide à la décision (OAD) sont des éléments incontournables d’une gestion raisonnée de l’irrigation. Grâce à ceux-ci, les utilisateur·rices sont en mesure de déterminer quantitativement l’état hydrique du sol. Il est donc possible d’attribuer une valeur précise à différents états hydriques : Capacité au champ (CC), point tournant (PT), réserve facilement utilisable (RFU) (voir la section Le système cultural à irriguer et ses caractéristiques). L’utilisateur·rice d’OAD peut ainsi connaître les valeurs cibles pour déclencher et arrêter un épisode d’irrigation, connaître les quantités d’eau à apporter à la culture en considérant la RFU et même anticiper les moments auxquels intervenir avec l’irrigation en vue d’éventuellement automatiser l’irrigation.
Description des outils d'aide à la décision
Depuis plusieurs années, de nombreux OAD utilisant des technologies différentes ont été développés. Ils peuvent être regroupés en deux principaux groupes, soit ceux qui utilisent des méthodes « volumiques » et ceux qui utilisent des méthodes « tensiométriques ». Les méthodes « volumiques » estiment la teneur en eau volumique du sol tandis que les méthodes « tensiométriques » mesurent le potentiel matriciel du sol (force avec laquelle l’eau est retenue par les particules de sol). La majorité des OAD utilisent des méthodes de mesures indirectes.
Mesure de la teneur en eau volumique du sol
Méthodes diélectriques
De nombreux OAD procurent une estimation de la teneur en eau volumique du sol en mesurant la permittivité diélectrique du sol. Dans le sol, la permittivité diélectrique est principalement affectée par la quantité d’eau qu’il renferme. À ce jour, il existe une multitude d’équations empiriques établissant la relation entre la permittivité diélectrique du sol et sa teneur en eau volumique. Les fabricants des OAD peuvent donc utiliser ces formules selon leurs technologies et les spécificités de leurs produits.
Réflectométrie dans le domaine temporel (TDR)
Les sondes TDR utilisent le principe de réflectométrie dans le domaine temporel pour estimer la permittivité diélectrique du sol. Elles sont généralement composées d’un fil lié à une sonde composée de deux ou plusieurs tiges métalliques. Pour réaliser la mesure, une onde électromagnétique est propagée par un acquéreur de données vers la sonde. Cette onde électromagnétique est ensuite transmise dans le sol, puis retourne vers la sonde (vers une autre partie conductrice). La vitesse de propagation de l’onde électromagnétique dans le sol (polarisation des molécules) varie selon la permittivité diélectrique du sol qui elle-même est liée à la teneur en eau volumique du sol.
Réflectométrie et capacité dans le domaine de la fréquence (FDR, FDC)
Les sondes utilisant le principe de la fréquence peuvent avoir une apparence assez proche des sondes TDR. Elles sont généralement composées d’un corps rigide et d’une extrémité, s’insérant dans le sol, formé d’une ou plusieurs tiges ou rondelles métalliques ou d’un matériau en composite. D’une manière simplifiée, un oscillateur créant une onde périodique est relié à un condensateur (formé par les tiges de la sonde et le sol). La fréquence d’opération du circuit électrique ainsi formé sera fonction des variations de la teneur en eau volumique du sol. Dans le cas des sondes utilisant la réflectométrie, la permittivité diélectrique du sol est obtenue par la mesure de la fréquence de résonance tandis que pour les sondes utilisant la capacité comme principe électrique, la permittivité diélectrique du sol sera estimée en mesurant la vitesse de charge du condensateur (formé par le sol et la sonde elle-même).
Réflectométrie dans le domaine de l’amplitude (ADR)
La réflectométrie dans le domaine de l’amplitude (ADR) est basée sur la mesure de l’impédance. Ces sondes utilisent également un oscillateur générant une onde électromagnétique se propageant dans les tiges métalliques. L’impédance de la sonde fluctue en fonction de la permittivité diélectrique du sol grâce à une conception spécifique des tiges métalliques.
Autres sondes et équipements
Il existe d’autres outils pour estimer la teneur en eau volumique du sol. Les sondes à neutrons, les techniques utilisant la technologie radar ou à induction ainsi que les technologies satellitaires figurent parmi les techniques et équipements les plus connus. Ces méthodes sont plus pertinentes dans le domaine de la recherche scientifique et ne sont pas adaptées comme OAD à utiliser sur une base régulière dans un contexte de production.
Mesure du potentiel matriciel
Les OAD utilisant la mesure du potentiel matriciel permettent d’estimer le niveau d’énergie de l’eau du sol. Le niveau global d’énergie de l’eau du sol est généralement défini par l’énergie potentielle, déterminée par les forces agissant sur l’eau. Principalement, les deux grandes forces agissant sur l’eau du sol sont les forces de capillarité et d’adsorption. Le potentiel matriciel exprime donc la somme de ces forces.
Tensiomètres
Le tensiomètre est un OAD qui a été largement adopté dans les dernières années. Bien qu’il existe de nombreux modèles sur le marché, tous les tensiomètres sont composés de trois parties : une bougie poreuse, un corps et une composante mesurant la tension (Figure 1).
La bougie est sans contredit la pièce maîtresse des tensiomètres. Elle fait contact avec le sol et permet d’établir la continuité entre l’eau du sol et la colonne d’eau contenue dans le tensiomètre. Généralement constituées de céramique, les bougies poreuses existent avec différents degrés de porosité ce qui leur procure une meilleure précision selon l’usage souhaité. Par exemple, un fabricant propose deux bougies différentes, soit une bougie standard pour des sols plus lourds, à être utilisée pour des tensions variant de 0 à 100 kPa, et une bougie plus poreuse pour les sols grossiers et les substrats, à être utilisée pour des tensions allant de 0 à 40 kPa.
Le corps du tensiomètre est la partie du tensiomètre pouvant être décrite comme le réservoir, la colonne d’eau. Souvent en forme de tube, le corps assure l’intégrité de la sonde et permet d’assurer la continuité entre la bougie et la composante mesurant la tension.
Finalement, la force exercée sur la colonne d’eau est mesurée avec un manomètre ou un capteur de pression. Lorsque la force de succion à l’intérieur du corps du tensiomètre est en équilibre avec celle du sol, la lecture du capteur de pression équivaut au potentiel matriciel du sol. Ce capteur de pression peut être lié à un cadran. Dans ce cas, on peut lire la tension directement sur le cadran. Dans certains cas, le tensiomètre ne contient pas de cadran mais plutôt un convertisseur qui convertit la valeur mesurée par le capteur de pression en voltage ou en courant et l’achemine à une plateforme électronique qui exposera la valeur mesurée. Certains fournisseurs installent un manomètre et un convertisseur sur le tensiomètre, ce qui permet des lectures directes et un visionnement sur une plateforme électronique.
Mentionnons que les convertisseurs de tension sont surtout utilisés dans des contextes où il y a une automatisation de l’irrigation.
Autres outils et méthodes
Il existe aussi d’autres technologies pour mesurer le potentiel matriciel du sol. Les blocs poreux mesurent la résistance électrique entre des électrodes situées dans le bloc poreux. Ils sont souvent faits de gypse.
Les sondes à dissipation thermique utilisant une source de chaleur et des sondes de température sont également commercialisées. Le principe de fonctionnement s’établit par la mesure de température différentielle entre deux sondes de température (thermocouple) dont l’une d’entre elles est constamment chauffée. Une formule calibrée entre le différentiel de température et le potentiel matriciel du sol est ensuite utilisée.
Finalement, les méthodes psychrométriques (à l'aide de gaz) peuvent également mesurer le potentiel matriciel ou total d’un sol. Cependant, ces méthodes ne sont pas adaptées à être utilisées comme OAD, mais plutôt utiles dans un contexte de recherche.
Bilan hydrique
Le bilan hydrique est un OAD qui permet de modéliser facilement les apports et les pertes d’eau dans le sol (Figure 2). Pour ce faire, le sol est conceptualisé comme un réservoir d’eau. La taille du réservoir sera déterminée par l’attribution d’une réserve en eau associée au sol, la réserve facilement utilisable (RFU). L’irrigation, les précipitations, la remontée capillaire et les mouvements horizontaux sont les principaux apports en eau. À l’inverse, les pertes peuvent survenir par évaporation, transpiration, ruissellement et percolation.
Cette méthode comptable s’appuie donc sur une estimation des apports et des pertes en eau et sur le suivi de la RFU du sol. Le bilan hydrique peut être utilisé comme un OAD dans une version simplifiée en utilisant seulement les apports d’eau reliés à l’irrigation et aux précipitations ainsi qu’aux pertes dues à l’évapotranspiration de la culture. La vidéo Gestion de l'eau d'irrigation (Boivin et Bergeron, 2018) explique comment utiliser le bilan hydrique.
Approche hybride
Cette approche combine plusieurs types d’OAD afin de répondre aux objectifs de gestion d’irrigation. Un scénario plausible pour cette approche est de combiner la gestion par bilan hydrique à une gestion utilisant des tensiomètres ou des sondes de teneur en eau. Ces derniers équipements permettent de valider le statut hydrique du sol tout en profitant de l’efficacité du bilan hydrique à générer de l’information pour de très grandes superficies.
Balance
Des technologies différentes existent pour les cultures en pots. L’une d’elles est la balance. Ces dernières sont installées sous les contenants de cultures pour mesurer les variations du poids. Ces variations permettent de considérer la croissance de la culture ainsi que les apports en eau d’irrigation. Pour ce dernier élément, les variations de poids peuvent renseigner sur l’utilisation des quantités d’eau apportées ainsi que sur celles lessivées hors du contenant de culture.
Choix d'un outil d'aide à la décision
Chaque OAD est nécessairement enclin à être utilisé plus efficacement dans certaines conditions et pour répondre à des objectifs précis en gestion de l’irrigation. En guise d’exemple, les contextes favorables et défavorables, ainsi que les avantages et inconvénients de quatre technologies ou approches sont présentés dans les tableaux 1 à 4.
Tensiomètre
Tableau 1. Contextes favorables et défavorables, avantages et inconvénients à l’utilisation d’un tensiomètre
Contextes favorables | Contextes défavorables |
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Avantages | Inconvénients |
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Sonde TDR
Tableau 2. Contextes favorables et défavorables, avantages et inconvénients à l’utilisation d’une sonde TDR
Contextes favorables | Contextes défavorables |
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Avantages | Inconvénients |
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Bilan hydrique
Tableau 3. Contextes favorables et défavorables, avantages et inconvénients à l’utilisation d’un bilan hydrique
Contextes favorables | Contextes défavorables |
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Avantages | Inconvénients |
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Approche hybride
Tableau 4. Contextes favorables et défavorables, avantages et inconvénients à l’utilisation de l’approche hybride
Contextes favorables | Contextes défavorables |
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Avantages | Inconvénients |
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Consigne d'irrigation
La consigne de déclenchement d’un épisode d’irrigation est une information d’importance pour toute entreprise qui désire gérer de manière raisonnée ses réserves d’eau. Toutefois, cette consigne doit être déterminée de manière appropriée pour minimiser les risques de stress hydrique à la culture, ainsi que les conditions hydriques menant à des périodes d’anoxie au niveau du système racinaire.
Des consignes d’irrigation peuvent être retrouvées dans la littérature scientifique ou dans des guides techniques, mais ces informations doivent être validées dans les conditions spécifiques de la culture. De telles valeurs varient en effet en fonction de la composition du sol (texture) et de son état de santé (ex.: compaction, matière organique). La manière la plus simple de déterminer une consigne d’irrigation consiste à utiliser la méthode du point tournant (PT) (Figure 2). Cette méthode requiert l’utilisation de tensiomètres pour déterminer l’évolution du statut hydrique du sol lors d’une période d’assèchement. À la suite d’une saturation en eau du sol (par des précipitations importantes ou par un ajout d’eau par irrigation), le sol se drainera jusqu’à la capacité au champ. Une fois cet état hydrique atteint, l’assèchement du sol se fait habituellement par une augmentation de la tension de manière linéaire, lorsque les conditions météorologiques sont similaires d’une journée à l’autre. Autrement dit, l’augmentation de tension est similaire de jour en jour (jours 1 à 5 sur la figure 2).
Éventuellement, ces variations augmenteront de manière plus importante et ne seront plus linéaires (jour 6 sur la figure 2). C’est à ce moment que correspond la valeur du PT. Il faut toutefois considérer une plage de tension pour le PT, étant donné que cette méthode est approximative (- 15 à - 20 kPa sur la figure 2), mais elle constitue quand même un bon point de départ pour déterminer une consigne de déclenchement des épisodes d’irrigation. Cette méthode doit être effectuée pour chacun des systèmes culturaux rencontrés sur une entreprise agricole, afin de cibler des valeurs de PT valides pour les différents contextes de production qui nécessitent de l’irrigation.
Pour déterminer une valeur de consigne d’irrigation, le PT demeure une meilleure alternative aux valeurs prises dans des contextes (sol, système cultural, culture) qui ne correspondent pas à la situation réelle. Par exemple, certains fournisseurs donnent des recommandations en fonction de la granulométrie du sol lorsque des tensiomètres sont utilisés pour le départ des irrigations (Figure 3). Même s’il s’agit d’un bon point de départ, ces valeurs ne prennent pas en compte d’autres facteurs et doivent être validées sur l’entreprise avant d’être utilisées.
Figure 3. Recommandations lors de l’utilisation d’un tensiomètre dans la planification de l’irrigation
Adapté de : Alam et Rogers (1997)
Coûts
Il existe une grande diversité d’OAD. Ces derniers comprennent les différentes sondes utilisées pour obtenir les mesures d’intérêt, mais aussi, pour un grand nombre d’entre eux, un système de communication et une plateforme de gestion des données. En 2020 et 2021, l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) a mené un projet de vitrine technologique portant sur les OAD (Deschênes et al., 2021). Ce projet avait comme objectif d’évaluer plusieurs OAD dans différents systèmes culturaux en contexte réel de production agricole. Les coûts des différents OAD ont été identifiés dans différentes fourchettes de prix. Le nombre d’OAD évalués était de quatorze. De ces derniers, un seul se trouvait dans la fourchette < 1 000 $, cinq dans la fourchette 1 000 à 2 000 $, cinq dans la fourchette 2 000 à 3 000 $ et trois dans la fourchette > 3000 $. Ces différents OAD utilisaient des tensiomètres, des sondes de teneur en eau, des stations météo, des capteurs de pression et des sondes de température du sol. Un cahier technique a été produit pour présenter les caractéristiques de ces différents OAD (Deschênes et Boivin, 2021).
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